samedi 15 décembre 2012

Réchauffé de cold wave sauce cabaret

En 1982, le duo nancéien Kas Product, pionnier de la cold wave française, sortait son tube Never Come Back. Ce soir, Mona Soyoc et Spatsz font leur retour à l'Aéronef.

Le public est tout en noir. Ceux qui le peuvent encore portent une longue mèche, noire et raide, raie sur le côté. D'autres ont le crâne rasé. Les manteaux en cuir sont tendus sur des ventres arrondis. Les fans de cold wave ont vieilli et grossi, mais leur garde-robe n'a pas changé. Ils portent la panoplie de l'époque où ils étaient amoureux de la belle Mona. Il plane comme un air de retrouvailles.

D'abord il y a la première partie, l'échauffement avec Guerre Froide, groupe de cold wave aussi ancien que Kas Product, mais moins connu. Une musique vaguement wagnérienne retentit. Le groupe entre sur scène. La musique s'arrête et le chanteur dit « bonsoir, ça va ? » Derrière moi, quelqu'un ricane : « ça valait bien la peine d'envoyer une musique aussi grandiloquente, pour commencer aussi platement. » Ils jouent, basse-guitare-chant sur boîte à rythme, tandis que des images de films allemands et de chantiers - allemands aussi - défilent derrière eux. Le chanteur arbore la même coupe qu'il y a trente ans, mais argentée. « Il a de beaux restes, dit une fille sur ma gauche, mais on sent qu'il est mal à l'aise. » Voix tremblante, mouvements coincés, paroles mimées.

Quelques minutes après le début du set, Jean, un jeune quarantenaire, me dit « c'est marrant de le voir en mode cold wave. Je le connais plutôt en version parent d'élève, pantoufles et tartines de confiture », ajoute t-il. Venu pour Kas Product, Jean a réservé plusieurs mois à l'avance. Guerre Froide, ça ne l'intéresse pas tellement.

Le public reste calme pendant la prestation, les applaudissements sont polis. A la fin du set, Mathieu, hipster à rouflaquettes vêtu d'une veste en peau de poulain, me dit qu'il a aimé le concert. « J'ai trouvé le chanteur très sincère, mais tu ne le dis pas, sinon tout le monde va se foutre de ma gueule », précise t-il en riant.

Pendant la pause, on se rue vers le bar. Boire vite pour tenter de trouver l'ambiance que Guerre Froide n'a pas réussi à installer. Energie post-industrielle, excitation adolescente, transe robotique.

On s'agite en coulisses. La musique de fond s'arrête, signe que le concert va vite reprendre. On se presse pour trouver une bonne place, près de Mona. La boîte à rythme est lancée. Un écran cache l'avant de la scène. « Elle est devenue tellement moche qu'elle est obligée de chanter derrière une bâche », dit une mauvaise langue, déclenchant l'hilarité de son entourage.

Quelques secondes plus tard, Mona apparaît à travers son écran, qu'elle déchire avec un couteau en chantant. Voix chaude, sensuelle, légèrement cassée. Le kitsch de la mise en scène laisse un peu sceptique, mais le public apprécie la vue. La coiffure légendaire est devenue un mi-long commun, mais elle est superbe. Ligne parfaite en slim noir et top à sequins, pommettes sublimes, yeux en amande pour regard de braise. Spatsz, en retrait, pilote les opérations depuis son ordinateur. En quelques minutes, plusieurs personnes me disent : « t'as écrit Patricia Kass Product ? » Je questionne Fred, un vieux fan casquette vissée sur la tête, sur cette tendance music-hall à laquelle je ne m'attendais pas. « Ça a toujours été comme ça, me dit-il, c'est son truc, le cabaret. »

Face à la scène, le public est en folie. Mona fait son effet. Je m'éloigne un peu. Postée derrière deux armoires à glace en tenues militaires (ils parlent de Charlemagne, d'empire, de Pangermanie), je sens un regard porté sur mes notes. C'est Chris, un grand belge plus jeune que la moyenne. Il s'est engagé pour trois dates de cette tournée. « Dès le troisième morceau du premier concert, j'ai été déçu, me confie t-il. Ce côté music-hall... Mais on en reparle à la fin du concert, je te dirai tout en détails. »
Never Come Back commence. Stéphanie, une brune pétillante adossée au bar, est déçue elle aussi. « Je ne peux pas leur en vouloir, dit-elle avec indulgence, c'est ma chanson préférée au monde, je l'ai écoutée tant de fois en version studio que c'est normal d'être déçue. »

Le show continue. Mona se jette plusieurs fois dans le public, silhouette gracile portée par des dizaines de mains. Elle sort un pistolet, un mégaphone, miaule, ondule.

Après le rappel, je rencontre Terpan, qui a passé le concert collé à la scène, en adoration. « Elle n'a pas changé, dit-il les yeux brillants. Voix chaude, sensuelle, magnifique. J'ai fait deux cents photos. Je t'en enverrai si tu veux. »