Céline L. - Quand as-tu trouvé ton style ?
The Pit - Je ne cherche pas vraiment un style... Je suis fidèle à un truc : dessiner au pinceau et seulement des contours. Pas de zone d'ombre. Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Peut-être pour faire comme Hergé. Ça vient de ce que je regardais il y a longtemps. Ensuite, le dessin évolue... Parce que je dessine mieux. Un style ne se forge pas, il y a la technique, et il y a ce que tu regardes.
C. L. - Tu cherches à déconstruire l'image ?
The Pit. - Oui. J'essaye de dessiner de manière super clean, un peu comme du dessin industriel ou de la ligne claire : les formes sont délimitées par un contour et en même temps j'essaie de le trafiquer pour que ça devienne super compliqué. Après on ne sait plus très bien ce qui est devant, derrière. Oui, ça déconstruit un peu, ça fait des systèmes de raccourcis bizarres, pas du tout réalistes. Sur un visage, il peut y avoir un tout petit œil et un vachement gros, un bras qui est mille fois trop petit, ou mille fois trop long. Ici, la jambe va vers l'avant mais ce n'est pas très logique parce que la cuisse devrait passer derrière le mollet... En fait, elle passe derrière. Pourtant, c'est bien le gros pied, donc on se dit que c'est celui qui va devant. Ce sont des torsions. Les filles sont un peu tordues.
Jalouse Footsucker, The Pit |
C. L. - Quelles sont tes références ?
The Pit - Au début, c'était Charles Burns. Pour les traits. J'ai aussi regardé à fond Tomi Ungerer, le bouquin qu'il a fait dans les années 60, Fornicon. Il a dessiné de façon super clean des nanas qui se font baiser par des machines. D'ailleurs il disait qu'il essayait de dessiner un peu comme un robot. J'aime bien dire que je dessine comme un robot. Même si après, comme c'est du dessin au pinceau, c'est un peu souple. Ça garde une certaine sensualité... de robot ! De robot en plastique qui fond facilement. Après j'aime bien le dessin des années soixante. Comme Heinz Edelmann, qui a dessiné la pochette de Yellow Submarine. Avec des formes assez rondes, un peu gonflées, et en même temps assez géométriques. Hairy Who. Le dessin punk aussi… Et des tonnes d’images…
C. L. - As-tu des références en littérature ou cinéma ?
The Pit - Non, la littérature et le cinéma, pas trop. Ou alors... Si... Les trucs un peu gores. La musique est présente, parce que je trouve que mes personnages sont comme des danseuses. Il y a de l'hystérie, comme quand tu danses et que tu rentres en transe. C'est présent, comme le fait de crier...
C. L. - Et tu ne dessines que des filles ?
The Pit - Des robots aussi ! Il y a des robots ! Il y a des motos, ce ne sont pas des filles. J'ai dessiné des têtes de mort. C'étaient des crânes de mecs, je pense. C'est un peu le truc des pin-up à mon avis. Je dessine des pin-up. C'est un peu con, mais...
C. L. - Elles ont quand même des espèces de bites.
The Pit - Non, ce sont des chaussures, des talons. Mais oui, il y a de la bite ! En fait il y a des hommes ! En ce moment je mets de plus en plus de trucs qui pourraient suggérer... des gros boudins.
Pussy Galore, The Pit |
C. L. – Comment ça se passe quand tu dessines pour des fanzines ?
The Pit - Les dessins, je ne les fais jamais en me disant « il y a tel mec qui veut telle sorte de dessins pour son fanzine ». C'est super rare que je les fasse comme ça, à la commande. D'abord je les fais pour moi, j'ai mon programme dans la tête, ça marche un peu par séries. Même si ça parait un peu tous les mêmes. Il y a deux-trois thèmes, j'essaye d'aller au bout. Les bagarres de filles, je pense que je suis arrivé au bout. Elles se mordent, elles s'écrasent les pieds... Après le mec me demande ci ou ça et puis je sélectionne dans mon stock.Si ça ne colle pas tant pis pour moi, je ne serais pas publié…
C. L. - Tu fais beaucoup de sérigraphie... C'est un choix commercial ?
The Pit - Ça c'est l'exploitation des dessins... La sérigraphie, c'est un moyen. En fait je m'en fous. J’aime toutes sortes de supports. Comme être imprimé dans un livre en quadri. Ou sur un pouf… Je suis trop content qu’on me demande des dessins.
C. L. - Tu t'en fous, tu ne vois pas de différence de valeur ?
The Pit - C'est pas que je m'en fous, mais la préparation des fichiers pour la sérigraphie est fastidieuse. J'aime bien que les dessins soient imprimés tels quels en noir et blanc sur du beau papier, c'est cool. Qu'ils soient colorés, j'aime bien aussi. L'offset, j'aime bien, parce que c'est propre, les couleurs peuvent être assez complexes. La sérigraphie je suis moins fan parce que... c'est toujours un peu galère à préparer, à se faire une idée de ce que ça va être, c'est pas évident... Ou alors il faut que j'aille un peu plus loin, que j'en fasse plus. Ce qui me gêne avec la sérigraphie c'est qu'il y a souvent des décalages. T'as toujours un demi millimètre qui bouge, c'est difficile à caler.
I'm Dead I'm Dead I'm Dead, The Pit |
C. L. - Pourquoi c'est trash comme ça ?
The Pit - Ce que j'aime bien dans l'image, c'est qu'elle ait un gros impact. Les images que je préfère regarder, ce sont les images qui pètent, qui te font réagir. Où le message est tellement évident que tu te dis « putain c'est trop bon ». En même temps, je ne suis pas sûr que mes dessins soient très impactants, parce qu'ils sont un peu compliqués. Ce qui est représenté n'est pas tout le temps évident. Mais je crois que c'est pour ça que j'aime bien les trucs un peu trash, parce que c'est rigolo. C'est comme un mec qui tombe dans un escalier, il se fait super mal, mais ça fait rire. L'autre jour, on m'a parlé de symbolisme, j'ai dit « non, il n'y a pas de , ça ne signifie rien de plus que ce qu'il y a. » Il y a une nana, elle a le pied dans la gueule de l'autre, et c'est tout. Il ne faut pas aller chercher du sens. Il n'y a pas de sens. C'est plus de l'ordre de l'illustration comique.
C. L. - Hara Kiri ?
The Pit - Oui, et aussi par rapport au sexe, parce qu'il y a quand même plein de sexe là-dedans. Ce qui me fait marrer dans l'imagerie porno, surtout le porno déviant, c'est que ça paraît souvent ridicule vu de l’extérieur. Se faire prendre en photo dans des trucs... Tu te dis « au secours » et en même temps, les mecs, ils y vont. Ils ont une sorte d'inventivité qui est amusante. C'est comme le gore. J'aime bien quand c'est too much. J'aime bien l'excès.